Une collecte massive de données sur Facebook confirmée
Est-ce l’affaire de trop pour Facebook ? Celle qui traîne depuis un moment et qui ternit un peu plus la réputation du réseau social au fur et à mesure des révélations et confirmations. L’entreprise a perdu plus de 30 milliards de dollars de valorisation en bourse lundi 19 mars, une première depuis plus de cinq ans. Ce n’est peut-être pas fini alors que l’on attend la réaction de Mark Zuckerberg, pour l’instant muré dans le silence, à ce qui s’apparente comme l’une des plus grosses opérations de récolte frauduleuse de donnés de l’histoire de la plateforme.
Une collecte massive de données par le biais d’une application
En effet, des données de pas moins de 50 millions d’utilisatrices et utilisateurs de Facebook (selon le New York Times) ont été aspirées sans leur consentement dans leur grande majorité par Cambridge Analytica, une entreprise de communication stratégique, à partir de 2014. Dans le lot, on trouve des informations sur l’identité des personnes, leurs amis, leur réseau mais également les mentions « j’aime ». Elles auraient été exploitées pour élaborer des outils de ciblage publicitaire afin d’influencer le vote des électeurs lors des dernières élections présidentielles américaines en faveur du candidat Donald Trump. Selon Christophe Wylie, le lanceur d’alerte à l’origine des dernières révélations sur l’affaire qui a participé à la conception de ces outils pour la société, dans une interview au Guardian, la puissance de ces techniques était telle que ce n’est pas seulement l’électeur et ses opinions politiques qui étaient visés mais l’individu dans toute sa personnalité. « Une arme psychologique de guerre », selon l’intéressé.
Comment un tel flot de données a-t-il pu sortir de Facebook ? Par le biais d’une application intitulée « thisisyourdigitallife » élaborée par Aleksander Kogan, un Professeur en psychologie de l’Université de Cambridge, et sa société Global Science Research (GSR), en juin 2014. Se présentant sous la forme d’un questionnaire accessible aux personnes connectées à Facebook et inscrites sur les listes électorales américaines, l’application en profitait pour récolter leurs données. Mieux : en exploitant une fonctionnalité du réseau social (depuis désactivée), elle pouvait siphonner celles de leurs contacts. Sur les 50 millions de profils concernés, 30 millions étaient utilisables pour dresser des profils psychographiques (c’est-à-dire selon des critères basés sur leur personnalité). Seuls les participants à l’enquête, soit 270 000 personnes, ont effectivement donné leur autorisation à l’exploitation de leurs données qui ont ensuite été vendues au groupe Strategic Communication Laboratories (SCL), la maison mère de Cambridge Analytica, tous les deux dirigés par Alexander Nix. À noter que l’opération s’est effectuée notamment via la plateforme de micro-travail Amazon Turk.
Face à l’ampleur de la fuite, on aurait pu s’attendre à ce que Facebook prenne des mesures. Mais il n’en fût rien, Kogan leur ayant expliqué que la collecte des données servait à des fins académiques. L’argument suffit. Depuis, Facebook n’a jamais rien entrepris pour obtenir le retour des données, y compris en décembre 2015, lors des premières révélations de leur utilisation pendant la campagne des primaires américaines. Il faut attendre août 2016 pour que le réseau social envoie un courrier à Christopher Wylie demandant la suppression des données obtenues illégalement. Ce dernier avait déjà quitté l’entreprise depuis plus d’un an.
Des soutiens financiers de poids
Par ailleurs, le travail de Cambridge Analytica n’aurait pu être possible sans le soutien financier de riches hommes d’affaires comme Robert Mercer ou Toby Neugebauer qui ont investi des millions de dollars. Selon le Guardian, l’opération de collecte de données aurait coûté sept millions de dollars.
Mercer était convaincu du pouvoir des données en politique. Une vue partagée par un certain Steve Bannon, l’ex conseiller de Donald Trump et Président de Breibart News, qui a joué à l’époque un rôle central dans la création de Cambridge Analytica avant d’en être le vice-président et de s’en servir pour la campagne de Trump. C’est au contact du groupe SCL qu’il a pu mettre ses idées en action.
Facebook dans la tourmente
Suite aux révélations du Times et du Guardian, Facebook a fermé le compte de Cambridge Analytica. Une réaction minimale et tardive qui cache bien mal l’embarras du réseau social qui peine à se dépêtrer de cette affaire. Déjà accusé de répandre des fausses nouvelles, de laisser libre cours aux discours de haine et d’avoir minimiser l’ingérence russe lors de l’élection présidentielle américaine de 2016, Facebook est attendu au tournant sur la protection des données de ses utilisateurs. Des élus aussi bien démocrates que républicains aux États-Unis pressent Mark Zuckerberg de fournir des explications. Sa position est d’autant plus délicate que son entreprise aurait violé avec cette fuite un accord conclu avec la Federal Trade Commission en 2011, ce qui l’exposerait à de lourdes amendes. Il en est de même en Europe où la commissaire à la justice Vera Jourova a déclaré qu’elle demanderait des « clarifications » à Facebook, tout comme les parlementaires britanniques.
En 2018, Zuckerberg n’a définitivement pas fini de réparer son réseau social.
Article de Thierry Randretsa